Halte aux députés-maires, barons locaux !

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            On a beaucoup eu de mal à démêler ce qui tenait des enjeux locaux et ce qui tenait des enjeux nationaux lors des dernières élections. La confusion a été entretenue par les journalistes, qui avait besoin de passionner les foules avec certains thèmes transversaux. Le mélange des genres découle aussi naturellement de la gestion qui se veut ordonnée des campagnes électorales par les partis nationaux, du moins pour les grandes villes. Mais ceci est aussi intrinsèquement dû à notre système institutionnel.

            En effet, beaucoup de députés, mais aussi de nombreux ministres se précipitent dans la course aux municipalités et conseils généraux. C’est toute la problématique du cumul des mandats : nos hommes politiques font souvent de grandes déclarations d’intention contre cette habitude de porter plusieurs casquettes. Multiplier les postes, c’est bien souvent ne pas en remplir un seul bien. Cependant, on nous dit que ce n’est pas bon de rester dans sa bulle : ministère, mairie, et qu’il est bien de se confronter d’autres responsabilités pour éclairer nos choix : on parle notamment de la fameuse implantation locale qui permet de garder les pieds sur terre. Comme souvent, tout ceci est une question d’équilibre, et je crois que nos institutions et les pratiques politiques pourraient être améliorées.

            Examinons le cas assez courant des députés-maires. De nombreux hommes et femmes politiques, en général membres des grands partis, occupent ces deux fonctions, et pourtant même si elles correspondent à une même implantation locale autour d’une ville, souvent chef-lieu de circonscription, les deux missions politiques sont très différentes. Le maire s’occupe de la gestion de la ville, avec des défis importants, touchant au logement, aux marchés publics de l’eau et de l’énergie, aux transports, aux opérations de solidarité, au contrôle des taxes foncières, à l’animation culturelle. Le député, lui, doit être un rouage essentiel de la politique nationale en discutant, amendant, votant et faisant les lois. Son rôle local, devrait normalement se limiter à un travail de relais via sa permanence : transmettre et expliquer les décisions législatives au peuple et recueillir les doléances du citoyen, pour alimenter le débat à Paris.

 

                                          
Le serment du Jeu de Paume
(peinture de David et événement essentiel de notre Histoire : première Assemblée Constituante)

 

            Mais, par une distorsion de notre constitution, le pouvoir législatif s’est retrouvé à la remorque du pouvoir exécutif. La cinquième république reposait déjà à la base sur un régime semi-présidentiel, le chef de l’Etat étant élu au suffrage universel. Mais, le rythme et l’équilibre de notre démocratie ont été bouleversés par l'instauration du quinquennat, et l’inversion du calendrier, décidés par Jacques Chirac et Lionel Jospin. En ce qui concerne le raccourcissement du mandat présidentiel à cinq ans, nous, Français, y avons mis notre main aussi, puisque cette décision a été soumise à référendum. Je me rappelle avoir voté oui. Je n'en suis pas à regrette cette décision : dans un monde qui change vite, il est bon de permettre une certaine réactivité politique, et cela peut permettre également un renouvellement des têtes plus rapide. Mais, les conséquences négatives induites n'ont pas été corrigées.

Donc, nous avons maintenant des élections générales tous les 5 ans, présidentielles, suivies des législatives un mois plus tard. Or, il apparaît que c’est la première des deux élections qui est déterminante, la couleur de l’Assemblée ne différant pas de celle du Président. Les cohabitations ne sont, certes pas, une garantie de travail harmonieux, mais avoir une assemblée un peu moins monolithique (ou plus exactement figée en deux blocs de taille différente) serait souhaitable. La campagne législative se limite souvent au spectacle suivant : des candidats du parti présidentiel, qui se contentent de se mettre sous la bannière du projet présidentiel, tandis que les candidats du parti adverse ne demandent pas aux Français de leur donner les moyens de gouverner sur un projet, mais la possibilité d’être assez nombreux à l’Assemblée Nationale pour que la situation soit raisonnablement équilibrée. Ajoutez à cela les médias, pour qui il est plus facile de parler d’hommes que de construction de projet. Et, la personnalisation de l’élection politique est en marche. Un parti, un candidat et des collaborateurs, qu’ils soient destinés à devenir conseillers spéciaux, à entrer au gouvernement, à être députés ou et à rester dans les instances du parti.

Après l’élection, durant la législature, le parlement a fort à faire avec toutes les  mesures que veut mettre en oeuvre la présidence et le gouvernement, qui pensent être en communication directe avec le peuple via les médias. Bien sûr, je ne nie pas tout le travail de réécriture de la loi par amendement successif, et le parlement n'est, certes, pas encore une chambre directe d'enregistrement. Mais, les choix sont plus techniques que politiques. Bien sûr, il y a les lobbies qui rodent autour des parlementaires, mais les décisions que ceux-ci devront prendre concerneront alors plus les intérêts particuliers que la marche de la Nation. L'Assemblée Nationale va rarement à l'encontre du gouvernement, et la discipline de parti, que cela soit d'ailleurs pour soutenir ou pour s'opposer, tient lieu de principale attitude. Il y a sans doute un certain nombre de textes qui rassemblent au-delà du clivage gauche-droite, et sur certaines lois, certains membres du grand parti au pouvoir, qui ont en général une carrière politique respectable , peuvent s'abstenir. L'abstention étant aussi en général le mode de vote de l'opposition, quand il s'agit de dénoncer l'imperfection d'une loi , sans remettre en cause ses quelques conséquences positives. Quoi qu'il en soit, l'opposition sait qu'elle est condamnée à être minoritaire. Quoique, parfois, quand beaucoup de membres de la majorité ne sont pas présents dans l'hémicycle, il arrive que certaines lois ne puissent passer, et doivent être repoussées à une session beaucoup plus lointaine sous une autre forme. L'absentéisme parlementaire témoigne du manque de vigueur du parlement et parfois du manque de conscience professionnelle et politique des députés. Bien sûr, si certain sèchent une séance, c'est parfois une manière diplomatique de boycotter un vote. Mais, bien souvent, ce sont d'autres obligations plus ou moins importantes qui éloignent les députés de leur cadre normal de travail. On se rappelle que Jean-François Copé, président du Groupe UMP et cumulard notoire, s'était opposé à une loi qui lierait l'indemnité parlementaire à l'obligation de présence. Si son argument concernant le fait que le travail des députés se fait aussi hors hémicycle, notamment dans les commissions étaient recevables, il n'en reste pas moins qu'un certain nombre d'hommes politiques ne font pas assez leur travail législatif, devant honorer d'autres engagements vis-à-vis de leurs amis, leur famille, de leur parti, ou de leur région, conseil général et mairie. On en revient donc à la question du cumul des mandats.

La limitation plus restrictive de celui-là n'est pas encore au programme de la prochaine réforme institutionnelle. On nous annonce pour juin un texte qui sera sans doute une avancée, mais de toute évidence incomplet, les propositions de la commission Balladur ne semblant pas toutes capables de vaincre les résistances et conservatismes de la classe politique française. un autre article sur le sujet Notons tout de même, puisque  j'avais parlé plus haut de ce souci de pouvoir législatif à la remorque du pouvoir éxécutif, que l'Assemblé Nationale pourra mieux maîtriser son ordre du jour, c'est-à-dire que pendant certaines périodes de l'année, les parlementaires pourront écrire des lois indépendemment du gouvernement. C'est une avancée pour renforcer le pouvoir législatif.

Plus haut, je n'avais pas parlé des députés qui ne se rangeaient ni dans la majorité ni dans l'opposition, et pour cause, ils sont très peu nombreux. L'Assemblée est presque exclusivement bipolaire, voire bipartite : le Parti Socialiste et l'Union pour le Mouvement Populaire se taillant la part du lion, n'ayant laissé échapper lors des éléctions législatives à scrutin majoritaire à deux tours que quelques circonscriptions au MODEM, ou aux non-inscrits, et n'en ayant confié que parcimonieusement à leurs alliés respectifs : Parti Communiste, Parti Radical de Gauche, Mouvement Républicain et Citoyen, Verts, Nouveau Centre,... Pour permettre à l'Assemblée Nationale d'être moins homogène, il faudrait changer le mode de scrutin. Introduire une dose de proportionnelle aux législatives. C'est tout un débat : personnellement, j'y suis favorable, même si toute la question est de trouver le bon dosage. Les plus farouches opposants à la proportionnelle, qu'on retrouve - comme c'est étrange - dans les grands partis, disent que cela risque de créer des Assemblée ingouvernables. On cite les exemples des instabilités politiques des régimes parlementaires, tels l'Italie actuelle ou la France de la Quatrième République. Le "régime des partis", comme l'appelait le Général de Gaulle. Il n'avait pas tort... Seulement, on peut dire que notre cinquième république a aussi évolué vers un régime des partis, des deux partis. En fait, toutes les constitutions perdent à un moment ou à un autre, quand les gens commencent à se regrouper en partis sur des questions de tactique électorale plutôt que d'idées. Pour l'instant,  l'UMP, Union pour la Majorité Présidentielle, qui a digéré tous les partis de droite dans un soutien à l'ambition présidentielle d'un homme fort, ne semble pas trop disposée à réformer la Constitution sur ce point. Beaucoup de députés du parti préfèrent assurer leur réélection que se lancer dans l'aventure de la proportionnelle. De l'autre côté, le Parti Socialiste, qui a fait le vide autour de lui, bénéficiant notamment du mouvement de réaction à l'élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle, analysé sous l'angle de lémiettage des voix de la gauche plurielle, a une position assez ambigue. Si certains sont prêts à combattre ou au moins faire des déclarations d'intention pour assurer un plus grand pluralisme à l'Assemblée Nationale, une bonne partie des députés préfèrent ne pas se tirer une balle dans le pied.

 

                     

 

On dit que si François Fillon n'a pas l'intention de proposer des mesures sur une dose de proportionnelle pour l'élection du Parlement dans son texte de loi de réforme constitutionnel, c'est pour assurer que celui-ci passe.  En effet, avec des parlementaires UMP qui ne voudraient pas de la proportionnelle, et des parlementaires PS pas très sûrs, peu de chance que la majorité des 3/5 pour le changement de constitution soit réunie. Le gouvernement dit préférer découpler la question de la proportionnelle de la réforme institutionnelle. Cependant, je ne suis pas sûr qu'elle revienne par la suite pour autant.


             L'autre élément essentiel que le gouvernement a exclu d'inclure dans sa réforme constitutionnelle, c'est donc la limitation du cumul des mandats. Et, je suis désolé, mais, on l'a vu, laisser à la raison des hommes politiques la modération du cumul, ça ne marche pas. Alors, on va continuer à avoir des présidents de conseils généraux, qui font la pluie et le beau temps sur un département, qui font leur représentation dans leur commune en tant que maire, qui tiennent à être reconnue dans leur parti via un poste influent, et de temps en temps, vont voter les lois à l'Assemblée Nationale. Comme bien souvent, ils se construisent et consolident ce petit matelas de pouvoirs sur des dizaines d'années, ça ne laisse pas beaucoup de place aux nouvelles têtes, nouvelles idées et nouvelles politiques. D'ailleurs, si le cumul n'avait pas été un mal si répandu, sans doute qu'on aurait eu moins besoin d'une loi de parité bête et méchante pour faire progresser la part féminine en politique.

             Donc, selon moi, il faut pus limiter le cumul des mandats, et concernant le cas particulier des députés maires, voilà ce que je propose, en espérant que cela soit réaliste :

                   -ne pas pouvoir cumuler la charge de maire et la mission de député... Si le député tient à rester présent dans son territoire, il est tout de même autorisé à rester conseiller municipal
                    -limiter le maire à trois mandats de suite (sauf éventuellement dans les très petites communes, ou il s'agit plus d'un sacerdoce que d'un pouvoir crucial)

                   Concernant les mandats de députés, j'hésite à les limiter aussi à deux ou trois législatures. D'un côté, on peut se dire que si le type en question fait du bon travail législatif, en sachant rendre des comptes à ses électeurs plutôt quà son parti, il n y a pas de raison qu'il ne reste pas député, et fasse bénéficier les travaux de l'Assemblée Nationale de son expérience. De l'autre côté, on peut se dire que c'est bien qu'il sache laisser sa place à un nouveau député, qui arrive avec des idées fraîches et une vraie envie de les faire passer à travers son travail législatif. En plus, l'ancien député aurait d'autres moyens tout aussi intéressants de faire valoir son expérience et sa motivation, ce qui lui permettrait également d'avoir d'autres points de vue. Par exemple, sénateur, ce qui ferait une légère différence. Ou alors ministre, s'il a de la chance. Ou aussi, député européen. Je pense qu'il serait vraiment profitable que les hommes politiques, et à leur suite les citoyens, ne considèrent pas les élections européennes comme des élections secondaires, où les grands partis reclassent certains de leurs malchanceux têtes de listes, et où les petits partis à la dent dure, voire démagogique, profitent de la tribune, et  de l'opportunité- avec la proportionnelle - de faire élire leurs leaders qui toucheront une indemnité en étant les champions de l'absentéisme. Bien sûr, il est évident qu'il faudrait aussi qu'en parallèle, la Constitution Européenne donne au Parlement de Strasbourg-Bruxelles plus de pouvoir.
                 Et, sinon, le député en fin de trois mandats, aurait toujours la possibilité de devenir maire ou redevenir. Avec de tels changements constitutionnels, un bon parcours politique ne serait plus celui d'un cumulard en puissance, mais par exemple celui d'une personne, qui se fait élire maire assez jeune avec un projet novateur, le met en oeuvre pendant deux ou trois mandats, puis laisse la main à un successeur de qualité, avant de se présenter aux législatives, lors desquels,  fort de son expérience local et de grandes idées pour la République, elle est élue député. Là, son travail législatif de qualité a de bonnes répercussions sur la marche de la France. Elle est réélue à nouveau député. Après deux législatures, elle est appelée vers d'autres défis au Parlement Européen, ou dans l'éxécutif.  Et, n'ayant pas oublié sa ville, tout en s'étant mis à la page des nouveaux défis, elle terminerait sa carrière à la mairie.
                      Bien sûr, personne n'est obligé de faire de la politique toute sa vie, mais ce qui est sûr c'est qu'à ceux qui disent que c'est bien de cumuler plusieurs responsabilités car ça permet d'avoir une vision globale, je dis que l'ouverture d'esprit, l'adaptabilité, la capacité à faire fructifier son expérience, et le talent, on les utilise encore mieux, en assumant avec fiabilité différentes responsabilités tour à tour.

                  

Publié dans Politique et société

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F
Tes idées sont intéressantes, quoique utopiques . Et il y a bien d'autres dysfonctionnements à noter, comme l'impossible alternance au Sénat. Malgré sa victoire aux municipales, cantonales ou régionales, la Gauche ne pourra pas espérer être majoritaire au Sénat avant 2012.De même, pour le calcul du cumul, les présidences de communautés d'agglo ou urbaines n'est pas prise en compte. Enfin, si les lois sur le cumul ou le mode de scrutin n'ont effectivement pas valeur constitutionnelle, il est fort à parier qu'elles ne seront de toute façon pas présentées
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L
<br /> Tout à fait, il y a accumulation de responsabilités dans les mains de certains, sans que le système permette un correct renouvellement...<br /> <br /> <br />