Beautiful StoryTelling : Ingrid Betancourt et les otages libres !

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          Quel événement ! Quelle bonne surprise ! Cela m’amène à bouleverser le programme de mon blog !

 

            Il faut l’avouer : je me suis toujours demandé pourquoi on parlait autant de la captivité d’Ingrid Betancourt, alors qu’il y avait des milliers d’autres drames de part le monde. Ce n’était pas forcément une figure très connue avant son enlèvement : créditée seulement de 0.5% dans les sondages à l’élection présidentielle colombienne, à laquelle on s’intéresse assez peu en France en général. Bon, elle avait la particularité d’avoir la double nationalité : franco-colombienne. Mais, d’autres ressortissants français, notamment des journalistes, ont disparu depuis quelques années à l’étranger et on en parle moins. Ingrid Betancourt bénéficie aussi des amitiés de sa famille dans des hauts cercles en France, mais probablement aussi en Colombie. L’appui de ces milieux autorisés, et l’opiniâtreté de sa famille ont permis de maintenir en alerte les médias, les autorités politique et la population. Les portraits géants d’Ingrid Bettancourt aident à ne pas oublier. En outre, et c’est un argument essentiel, les médias ont besoin de raconter des histoires (storytelling) pour intéresser les gens. Et, là, avec la captivité d’Ingrid Betancourt et l’espoir de la libérer, on avait un sujet sur lequel on pouvait développer les tenants et les aboutissants au gré des rebondissements. Et, on pouvait faire de cette personne en chair et en os un symbole du sort général des gens pris en otages aux quatre coins du monde, et des dysfonctionnements de notre planète.

 

            Bien sûr, il est de nombreux sujets plus essentiels que la libération d’Ingrid Betancourt pour la marche du monde et de l’Humanité. Par exemple, les négociations en cours à l’OMC, à propos de la régulation ou libéralisation du marché agro-alimentaire. Chacun campe sur ses petits plus, mais qui entraînent des inégalités et des déséquilibres mondiaux : les subventions agricoles en Europe, les quotas aux Etats-Unis, et l’absence ou la faiblesse de normes sociales en général dans les pays en développement. Des accords trouvés, comme d’un battement d’aile de papillon dépendront à terme des éléments aussi divers du chaos mondial que la puissance économique du Brésil, l’abandon ou non de son exploitation par un agriculteur des Deux-Sèvres, les profits de l’actionnaire de Nestlé, les conditions de vie de ce campagnard chinois qui a l’intention de migrer vers la ville pour trouver du travail, l’équilibre politique de la Côte d’Ivoire, la mort de faim ou non de cet enfant éthiopien. Mais, ces discussions de l’OMC sont arides. Et, il est plus facile de raconter et comprendre ce qui arrive à Ingrid Bettancourt. Sa libération, en compagnie de 14 autres otages, a d’ailleurs des répercussions non seulement dans les vies de ceux-ci, mais aussi sur la politique colombienne : c’est une nouvelle victoire de l’armée d’Uribe sur la milice rebelle des FARC.

 

            Et, il y a cette émotion qui parcourt la planète. J’ai l’impression qu’il n y avait pas eu un flash spécial aussi largement diffusé dans le monde depuis le 11 septembre 2001. En Colombie, au Venezuela et en France, c’est sûr, il y eut interruption des programmes sur certaines chaînes (I-téle, BFM, France 2, quelques images à France 3, pas vu sur TF1 par contre). Mais, je pense que dans d’autres pays d’Amérique Latine, d’Europe et aux Etats-Unis (trois des otages libérés sont des conseillers militaires américains, auxquels John Mac Cain, par hasard en visite en Colombie, va probablement pouvoir serrer la pince), il y eut aussi des flashs spéciaux.

 

            En tout cas, niveau story telling, on a vraiment un dénouement d’une telle beauté, qu’on le croirait scénarisé par Hollywood : une opération d’infiltration des FARC par l’armée colombienne réussie, des otages, qui espéraient toujours, mais totalement surpris et très très ravis de comprendre qu’ils venaient d’être libérés dans cette hélicoptère, et des discours superbes, notamment celui de l’héroïne à la fin, Ingrid Betancourt. Des images magnifiques avec le soleil, les sourires et les amitiés sur le tarmac de l’aéroport.

 

            Je suis tombé sur le flash spécial vers 10 heures du soir. J’ai assez vite compris ce dont il s’agissait. Ce qui était aussi fort, c’est que cela arrivait comme une surprise, puisqu’on ne parlait pas dans les jours précédents de négociations en cours, comme pour la libération de Clara Rojas six mois plus tôt. J’étais curieux de comprendre comment l’opération avait été menée : visiblement, une infiltration menée depuis un an de l’armée colombienne jusque dans le premier cercle des FARC. En profitant aussi d’une certaine désorganisation des guérilleros, après la mort coup sur coup du n°2 (Hugo Reyes, tué par l’armée colombienne) et du n°1 (Marulanda, décès naturellement sur son lit), les membres des services spéciaux colombiens ont réussi à faire croire au groupe de FARC détenant Ingrid Betancourt et ses compagnons d’infortune que le nouveau numéro 1 voulait déplacer et regrouper les otages en hélicoptère. Mais, l’appareil qui s’est posé dans le campement FARC était en fait contrôlé par ces agents infiltrés. Avec ce succès, Alvaro Uribe, le président colombien, a considérablement redoré son blason, et on se rend compte que du point de vue du nombre de leurs membres, du nombre d’enlèvements par an, les FARC sont en perte de vitesse grâce à sa politique ferme. Dans cette soirée, on eut aussi inévitablement les réactions convenues des responsables politiques et figures médiatiques du monde entier. Je n’ai vu qu’une partie du discours de Nicolas Sarkozy, mais il fut visiblement assez sobre, et bien sûr souriant, avant d’être suivi par les interventions de la fille du fils et des autres membres de la famille française d’Ingrid Bettancourt. Bref, des réactions sans surprises, mais plus justes qu’excessives.

 

 

            Le vrai moment fort de la soirée, à partir duquel je suis resté scotché comme je peux l'être devant le football , Lost ou Next ,…, c’est le direct sur l’aéroport de Bogota.

            La porte de l’avion qui s’ouvre, et une dame avec un chapeau militaire qui sort : Ingrid Betancourt. Elle étreint sa mère, son mari colombien, et divers officiels. Au début, je me demandais si en restant comme cela au pied de l’escalier de l’avion, Ingrid Betancourt ne bloquait pas la sortie des autres otages libérés. Mais, en fait, ceux-ci sortirent par une autre porte un peu plus tard. Tout était visiblement savamment orchestré. Les premières interventions devant micro furent déjà pour les otages moins connus, des militaires et policiers colombiens de faire part de leur joie et leur fierté dans l’armée de leur pays. Raimondo, un petit moustachu resté dix ans dans les mains des FARC, fut le premier à parler. Puis ses compagnons lui succèdèrent.

 

Cet otage libéré, dont le nom ressemblait a Mandaluda, arbore la photo de sa femme et son fils


 


Ingrid Betancourt remercie les militaires colombiens

            Ingrid Betancourt était visiblement entrée en communication par téléphone avec la France, et sa famille. David Pujadas fut surpris de constater que la journaliste hispanophone qui l’accompagnait en plateau, parvenait bien à lire sur les lèvres de l’ex-otage franco-colombienne : « je t’embrasse très fort », « oui ». Puis, Ingrid Bettancourt fut la dernière à prendre la parole. Il est évident qu’elle avait été briéfé avant, mais vu l’heure durant laquelle elle parla, il est impossible qu’elle ne fasse que répéter des phrases appris en trois heures. Elle était non seulement en forme, mais aussi très éloquente. Elle commença bien sûr par remercier Dieu et l’armée. Certains seront peut-être un peu gênés par le retour de l’alliance du sabre et du goupillon (avec même ensuite un passage de prière à genoux et de bénédiction par un prêtre), mais cela reste des propos sincères, qui viennent du fond du cœur. Ingrid Bettancourt adressa toute une autre série de remerciements, entrecoupant son discours de phrase en français : les efforts de Nicolas Sarkozy furent rappelés, mais elle n’oublia pas non plus de mentionner Jacques Chirac, et l’ami de la famille, Dominique de Villepin. Puis, elle commença à raconter sa journée : comment elle espérait tout le temps un peu chaque matin, et comment ses compagnons et elle furent libérés : leurs interrogations devant cet hélicoptère qui atterrit avec à son bord des humanitaires portant des plastrons avec un portrait du Che Guevara, le décollage de l’hélicoptère, le moment ou elle s’est rendu compte que le plus cruel de ses geôliers était bâillonné (et la pitié qu’elle a ressenti à son endroit malgré tout), l’annonce « nous sommes l’armée colombienne, vous êtes libres », les sauts de joie qui firent tanguer l’hélicoptère. Le chef d’état-major ou le ministre colombien dira ensuite qu’il n y eut qu’un blessé dans cette opération, dont seule l'armée israëlienne était capable avant ce jour,  et s’adressa aux FARC en disant qu’il fallait continuer à libérer les otages (ces prisonniers restants n’étant jamais oubliés dans les différents discours)

Le soleil se couche déjà à Bogota et l'interview va bientôt finir


            Ingrid Betancourt répondit ensuite à une véritable interview, avec une dizaine de questions pertinentes, certaines même un peu délicates pour elle : qu’alliez vous faire à San Vincente ? Pensez-vous toujours qu’il faut une zone démilitarisée pour les FARC ? Elle a dit qu’ele s’était souvent posé cette question en captivité, et compte-tenu des attentes de la population de San Vincente (là où elle fut capturée par les FARC), elle le ferait à nouveau. A la question sur ses intentions de se présenter un jour à nouveau aux présidentielles, elle botta en touche fort sagement, mais déclara qu’Alvaro Uribe avait fait du bon travail, et sa réélection avait empêché un flottement qui aurait permis aux FARC de reconstituer leurs forces. Elle adressa aussi un vibrant hommage à la France, terre ouverte à ses frères colombiens. Ingrid Betancourt ne sait sans doute pas la polémique actuelle entre l’Amérique Latine et l’Europe sur la directive retour pour lutter contre l’immigration clandestine en Europe.

            Il y eut aussi quelques beaux moments d’émotion durant cette interview : quand elle rencontra et étreignit le directeur de la radio colombienne, Caracol, dont l’écoute tous les matins permettait aux otages de ne pas lâcher prise mentalement et garder l’espoir. La mère d’Ingrid Betancourt lui faisait ainsi passer des messages de réconfort, et c’est ainsi aussi que l’otage savait les efforts de communication (dernièrement, afficher son portrait sur le Mont Blanc) déployés en France pour ne pas l’oublier. Grosse accolade complice aussi avec son camarade otage, infirmier militaire, qui l’avait aidé à se soigner quand elle était très malade, et avait été un appui moral indéniable. Et, puis, il y eut aussi les retrouvailles avec Clara Rojas. Et les messages de paix.

 

            Bref, comme je vous l’ai dit, c’était beau ! Et de telles images font oublier à la puissance mille les déclarations désagréables pour les autorités françaises des jours précédents du genre de celle du président polonais Kascinski quant à l’abandon du traité de Lisbonne. Vu comme elle est en forme, et douée en communication, je ne serais pas surpris qu’Ingrid Bettancourt soit présente au défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées. En pleine lumière, elle repoussera vraiment dans l’ombre la présence d’autres invités, comme Bashir el Hassad.

 

            Voilà pour ce bel épisode.

Publié dans Politique et société

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J
Il faut lire, à propos de storytelling, le livre de Christian Salmon à la Découverte qui explique très bien commen,t l'entreprise, la communication politique et militaire sont soumis désormais auxyttechniques de manipulation par le récit... C'est terrifiant.
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L
<br /> Merci pour ton commentaire...<br /> Un livre à noter donc dans la liste des tant de choses que je devrais lire.<br /> Ca a l'air d'être un essai intéressant...<br /> C'est vrai que la forme (en l'occurence les médias) va conditionner le fond (le message transmis)...<br />  J'imagine que ce livre regorge d'exemples où un communicant dit à un journaliste, un homme politique, un militaire,... : "ne dites pas ça comme ça, vous n'allez intéresser personne, et ne pas<br /> vous faire comprendre... Attirez plutôt les gens en disant d'abord ça.."<br /> A plus<br /> <br /> <br />
V
Merci pour cet article très complet sur la libération d'I. B., je ne regarde presque plus la TV et pas du tout les JT alors ton billet m'a permis d'avoir une bonne vision de ce qui se passait.Bises de papillon
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L
<br /> Content d'avoir mis les bons mots pour décrire ce que j'ai vu...<br /> <br /> Ingrid vient de se poser à Villacoublay et le lien vers les photos :<br /> http://www.gettyimages.com/Search/Search.aspx?src=quick&contractUrl=1&family=editorial&phrase=ingrid%20betancourt%20nicolas%20sarkozy est sympa (merci, Adri chérie), même si c'est avant<br /> tout de la communication...<br /> <br /> Viens te poser ici quand tu veux, papillon...<br /> <br /> Bises<br /> <br /> <br />
N
Ca, c'est un vrai article de blog, tu ne t'es pas contenté de jeter rapidement trois lignes sur le sujet pour attirer le lecteur à toi. Perso, ce soir là, j'ai pas regardé la télé, j'ai suivi à partir du site du Monde. Tant mieux pour elle, espérons qu'on va lui laisser un peu de temps pour se retrouver.
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L
<br /> Merci..Très honoré d'avoir un commentaire positif de Nina des Vingtenaires...<br />  Après, c'est vrai que chacun a sa propre source d'information... Moi, ça dépend des soirs... Un autre soir, j'aurais pu très bien rater la nouvelle, et l'apprendre le lendemain sur<br /> yahoo...<br /> <br />  C'est difficile à dire si tout le battage médiatique autour d'elle nuit à la sérénité d'Ingrid Betancourt... La communication pratiquée par sa famille ou elle est toujours trés propre...<br />  Ce personnage manque peut-être d'aspérités...<br /> <br />  Et, oui, j'aime bien faire des articles assez exhaustifs sur le blog au point de parfois trop parler de détails... Et, puis les analyses qu'il peut y avoir sont parfois surchargées par le<br /> factuel que je mets : ainsi, la première fois que je citerais 'Bernard Kouchner', ce sera "Bernard Kouchner, le ministre des affairss étrangères français", etc...<br /> <br /> <br />
A
cheri, ça du étre une trés bonne soirée, que j'ai raté, grâce à mon petit boulot...mais, je pense que ils vont montrer encore une fois à la tele!Love
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<br /> Bien sûr qu'ils vont encore le montrer à la télé... Au 20 heures de ce soir, tu auras au moins 20 minutes sur la libération d'Ingrid betancourt, avec des extraits d'interviews d'Ingrid Betancourt,<br /> de Nicolas Sarkozy, plus un plan de l'intervention de l'armée colombienne... Plus les nouvelles images avec la famille française d'Ingrid Betancourt, accompagnée de Bernard Kouchner, qui la<br /> retrouvent.... Bref, ce sera intéressant aussi... Mais, le côté direct, pour ne pas en rater une miette, reste unique, je pense... Muitos Beijos ! Te amo !<br /> <br /> <br />