Je n'aime pas les avocats

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         Tout le monde se construit des stéréotypes. De manière plus ou moins irrationnelle, on va honnir plus particulièrement les représentants d'un certains corps de métier. Pour certains, ce sont les professeurs. Pour d'autres, ce sont les policiers. Pour certains, ce sont les chauffeurs de taxi, pour d'autres ce sont les agents des cabinets d'audit...
       Moi, c'est avec les avocats que j'ai certains à priori négatifs.

      J'ai l'impression qu'ils ont un rapport à la vérité tout particulier. En effet, leur mission est de défendre de la manière la plus efficace possible leur client. Et, l'efficacité n'a-t-elle pas tendance à primer sur la vérité dans leurs objectifs ? Le conseil de base est souvent de plaider non coupable (ou "responsable mais pas coupable") Les plaidoiries se doivent d'être éloquentes, en revanche, l'objectivité n'y est pas nécessaire.
       Bien sûr, le principe d'un procès fait que ce n'est pas dans le discours de l'avocat que doivent se développer ensemble les arguments en faveur et en défaveur de l'accusé, mais ceux-ci doivent plutôt ressortir de l'affrontement par la parole entre les différents interlocuteurs (avocats, procureurs,...). La plaidoirie de l'avocat dépend avant tout des exigences de son client.
        Il n'en reste pas moins que les talents de bonimenteur paraissent un plus indéniable dans ce métier. La forme prime sur le fond. Les avocats sont sans nul doute des gens cultivés qui savent parler avec correction et style, mais  ces qualités sont gâchées par leur cynisme. Cynisme assez caractéristique de notre monde moderne, où on nous pousse à courir après l'argent, la vitesse et les apparences.
        Je sais qu'à la base, les avocats ont une vraie utilité sociale. Et, encore maintenant, cette fonction est nécessaire au bon fonctionnement de la société. En effet, il s'agit d'offrir de l'aide à chaque citoyen, qui - même si nul n'est censé ignorer la loi - n'est pas forcément au courant de toutes les subtilités du droit, et ainsi lui permettre de se défendre contre les plaintes de tiers, et les accusations de la justice. Juge est un métier, peut-être encore plus essentiel, mais il est vrai qu'un pays qui ne donnerait pas à ses prévenus de droit à un avocat , ouvrirait la porte aux décisions les plus arbitraires à l'encontre de certains citoyens. D'ailleurs, je pense que s'il existe des états où "le droit à un avocat" n'existe pas, ils ne se trouvent pas parmi les démocraties. Je suis toutefois sûr que certaines dictatures peuvent autoriser les avocats, sans que cela ne les empêche de se livrer à des mascarades de procès (du genre celui des infirmières bulgares en Lybie)
     Si leur rôle de conseil juridictionnel est éminemment social, les avocats ne se limitent pas à cette mission. Avocat est une profession libérale, en général. Il existe bien sûr quelques commis d'office, dont le salaire est pris en charge par l'état, mais ils ne représentent pas la majorité des avocats, et surtout il ne s'agit que d'une étape de carrière pour ceux qui aspirent à la réussite, qui s'incarne à travers la participation à un cabinet florissant. A propos des commis d'office, notons que dans le tour de vis ("rationnalisation financière") donné actuellement au Ministère de la Justice sous l'égide de la Garde des Sceaux, Rachida Dati, outre la fermeture de tribunaux locaux qui soulève un mécontentement compréhensible, il est aussi prévu une baisse de l'aide juridictionnelle, ce dont on parle moins. Je pense que c'est une mauvaise décision politique, qui risque d'accroître les injustices. Vous connaissez le refrain : "selon que vous serez puissant ou misérable"
     Ce ne sont pas les avocats qui vont empêcher la dérive vers une justice à deux vitesses, bien au contraire. Cela les arrange plutôt d'avoir des clients riches, et de pouvoir les convaincre que c'est leur éloquence, leur valeur (qui comme toute marchandise, est censée être indiquée par leur prix) qui vont faire la différence dans un procès.

 

Jacques Vergès, une star du barreau,
à qui il est souvent arrivé de plaider pour les clients les moins recommandables
Magnolia Pictures


      En outre, la judiciarisation de la société leur ouvre de nouvelles perspectives. La justice va devoir de plus en plus se substituer à l'Etat régalien pour arbitrer certaines décisions. Quand on décide de créer des droits opposables : au logement, à la garde d'enfants, j'ai l'impression que ça signifie en partie qu'on se défausse des ses missions de service public, laissant les gens porter plainte, se lancer dans des procédures chronophages et parfois coûteuses (par exemple en frais d'avocats), avant d'espérer voir leurs droits reconnus. Ensuite, effectivement, si l'Etat ou la collectivité locale s'est révélée indigne de sa mission, ils seront condamnés, et les citoyens lésès seront dédommagés. Mais, le bilan ne sera pas forcément négatif pour l'Etat, qui pourra éventuellement compter sur le découragement de certains devant la machine de la justice. Les défenseurs du droit opposable argueront - et auront raison - que cela permet aux pouvoirs publics de mieux s'adapter aux vrais besoins de la population, au lieu de définir à l'avance un plan de construction de crèches ou de logements, en en proposant plus qu'il n'en faut dans certains endroits, et surtout en en proposant moins qu'il n'en faut dans d'autres zones, et ensuite de s'en laver les mains. Certes !

         De même, on dira que les class action à la française vont permettre aux consommateurs de mieux se défendre contre les abus des grandes entreprises commerciales. Néanmoins, c'est quand même malheureux d'en arriver à devoir régler tous les problèmes de la société par des procès. Cette évolution, que je qualifie de dérive, est sans doute encore plus avancée aux Etats-Unis, un pays où j'ai l'impression que les avocats sont rois. On en arrive à des situations un peu ridicules : avec l'exemple des procès intentés par des personnes obèse à l'encontre de Mac Donald's. Il est bon de rappeler que chacun est responsable de ce qu'il mange, et personne n'est obligé de se gaver de Big Mac pendant des années. Je n'ai aucune sympathie pour les marchands de fast-food, mais je trouverais plus sain qu'on légifère en amont, en luttant contre le marketing agressif de ces compagnies, et contre leur obsession de minimiser leurs coûts et maximiser leurs profits au mépris de la qualité élémentaire de leurs produits. Qu'on puisse intenter des procès pour publicité mensongère, pour fausse information sur la composition d'un produit, pour atteinte à la santé publique, qu'il s'agisse d'agro-alimentaire, de biens cosmétiques ou de tabac (exemple du film "Révélations" de Michael Mann, où le héros est un avocat, joué par Al Pacino, qui parvient à faire condamner une firme de cigarettes), c'est salutaire. Mais, alors que nos sociétés deviennent de plus en plus procédurières, ce ne sont pas forcément les world company, qui peuvent se réfugier derrière une armée d'avocats, qui en pâtiront le plus. On se retrouve avec des professeurs, qui n'osent plus organiser de sortie avec leurs élèves, de peur d'être condamnés comme de vulgaires criminels, quand arrivent des catastrophes. Oui, quand des gens meurent, il y a souvent des responsabilités qu'il est bon de démêler, mais chercher à tout prix un coupable à qui faire payer le préjudice subi, c'est oublier que les coups durs feront toujours partie de la vie, qui est éminemment injuste. Les discours actuels qui veulent tout rapporter à la souffrance de la victime pour juger, sont une vision biaisée de la justice, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire. 

       Ce que permet parfois d'obtenir une armée d'avocats grassement payés, donc accessibles seulement aux plus puissants, donc, ce sont les annulations de procès pour vice de procédure. Dommage parfois que dans ce cas, le fond de puisse être jugé. Mais, nous sommes un pays de droit.

      Dans notre société, les inégalités de départ ne se marquent pas seulement par un écart d'argent disponible à la base, mais par un écart fondamental d'accès à l'information, et comme tout s'achète... Un bon avocat, qui connaît toutes les subtilités de la loi, voire plus, coûtera plus cher, mais pourra sauver la mise de quelques gros bonnets. Quand Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale, et maire de Meaux, se fait avocat d'affaires, ne peut-t-il y avoir conflit d'intérêts parfois.

       J'ai l'impression qu'on voit de plus en plus d'hommes politiques dont le second métier est avocat. A commencer bien sûr par Nicolas Sarkozy, le roi de la rhétorique. Mais, il y en a de nombreux autres, dont je vais citer quelques exemples. A droite, on a Patrick Devedjian, qui, derrière son ton doucereux, n'hésite pas à défendre des lois dures, injustes, ou inefficaces, en les faisant passer pour des actes courageux. A gauche, on a par exemple, Arnaud Montebourg, avec sa tendance à l'emphase éxagérée. Mais, n'est pas Robert Badinter qui veut. Je n'aime guère ni Noël Mamère, ni les avocats. Ca tombe bien : le maire de Bégles s'apprête à devenir avocat. Bon, cessons d'être mauvaise langue. Après tout, j'aime bien Corinne Lepage, qui, elle aussi, est avocate. Disons en toute subjectivité que, d'une manière générale, je serais tenté de penser qu'un homme politique professeur sera plus pédagogue et moins manipulateur qu'un homme politique avocat.

       Ce texte est volontairement un peu orienté, mais il s'agissait de livrer des impressions subjectives, sans avoir peur d'émettre des à-prioris. Le débat est bien ouvert: si vous avez des avis positifs, négatifs sur les avocats, des mauvaises, des bonnes expériences avec eux, si vous êtes avocat vous-même, n'hésitez pas à laisser des commentaires.

          Et, puis, pour finir en disant autre chose : j'aime bien les avocats surtout en guacamole.


 


Publié dans Politique et société

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E
Non je ne suis pas avocate. Mais je suis dans un métier similaire. Je ne vais pas faire l'"avocat" du diable mais d'une manière générale, il faut bien reconnaître que notre société est de moins en moins tendre avec les faibles. Je ne pense pas que tous les avocats soient véreux, comme je ne suis pas sûre de l'impartialité et de la compétence de tous les juges. Nous sommes tous nés en principe gentils, je ne vais pas  dire que ceux qui ont choisi une certaine "profession" ont tous volontairement bifurqué "méchants" . Quel que soit le métier, il arrive qu'on franchisse la frontière qui sépare le bien du mal, parfois sans le vouloir vraiment ou même sans le savoir. Ca dépend des valeurs que l'on défend et aussi  des vicissitudes de la vie. L'industriel qui fait manger n'importe quoi, l'informaticien qui pille, l'architecte qui vous fait un plan foireux, ça existe tout ça. Et ils ne sont pas peu nombreux. Mais de là à dire, ils sont tous pareils, c'est un pas que je ne franchirai pas.
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L
<br /> Tout à fait d'accord avec toi...<br />  Il n y a pas de métier méchant... Ce sont certains qui deviennent plus cyniques, quel que soit leur métier, selon les vicissitudes de la vie...<br />  Merci de ta visite...<br />  En espérant que tu seras à nouveau ici, en passant...<br /> <br /> <br />
E
C'est comme dans toutes les professions, il y a les bons...puis il y a les moins bons. Mais c'est subjectif. Ca choque toujours de voir qu'il y a toujours un avocat pour défendre ce qui semble de prime abord "indéfendable" mais si on part du principe que le droit et notamment le droit pénal est fait pour défendre certaines valeurs. Le meurtrier, le voleur, et j'en passe quelle que soit la faute commise a droit à ce qu'on l'écoute (droit de la défense), il a aussi des droits comme vous, comme nous tous à la défense de ses droits les plus élémentaires (respect de la vie privée, procès équitable, ...) et à mon sens, un avocat est le mieux placé pour assurer cette défense. La personne la plus abjecte est aussi avant tout une personne humaine. Tout comme la victime. Et c'est la raison pour laquelle une personne qui n'a pas les moyens de se payer les services d'un avocat peut en avoir un, commis d'office. L'avocat ne défend pas son client comme il veut, même s'il veut mettre l'accent sur la forme et oublier le fond de l'histoire, il aura toujours devant lui un juge qu'il faut convaincre et le rôle du juge est de dire le droit à partir des faits et rien que les faits.La personne qui fait de la politique son fonds de commerce qui devient avocat ou l'avocat qui fait de la politique ? Existe-t-il vraiment une relation de cause à effet entre l'exercice d'une profession et la moralité d'un politicien et inversement ? Le métier d'avocat n'a-t-il toujours pas fait rêver tout comme celui du pilote, du médecin, de l'astronaute, de l'ingénieur informaticien voire de président de la République ?
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L
<br /> Beau témoignage !<br />  Je n'ai guère plus à dire !<br />  Et, il est évident que je ne remet pas en cause le droit de chacun à se défendre devant la justice... C'est un droit élémentaire...<br />  Oui, le métier d'avocat a bien une utilité sociale...<br />  Je remarque juste que, selon la maxime classique, qui ne se vérifie pas que pour les avocats, la maxime "selon que vous serez puissants ou misérables" s'applique bien quand certains n'ont<br /> qu'un commis d'office, tandis que les puissants ont une armée d'avocats prompts à dégainer des vices de procédure pour annuler les procès... Mais, aucun système n'est parfait... Et, il est<br /> essentiel de connaître les lois, et des les améliorer par les jurisprudence...<br />  Sinon, bizarrement, en ce qui concerne la justice, je me sentirais plus attiré par le métier de juge que le métier d'avocat...<br />  Voilà, voilà !<br />  Vous êtes avocat ?<br /> <br /> <br />
F
Moi, c'est les Inspecteurs du permis de conduire que je n'apprécie guère. Il est vrai que j'ai obtenu mon permis à la 6ème tentative !!!!
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L
<br /> Ah, ça, ils ne sont pas là pour rigoler, ceux-là...<br />  Et, comme toute erreur est éliminatoire, ça fait forcément mal quand tu l'entends dire "bon, garez-vous sur le bas-côté ! C'est fini !"<br />  Eh eh tu m'as battu : moi c'est la troisième tentative qui fut la bonne...<br /> <br />  Nobobstant nos échecs personnels, je crois quand même que les inspecteurs du permis de conduire sont peut-être froids mais justes...<br /> <br /> <br />