Un Tour indécis demande de la force, mais aussi de la tête.

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    Dimanche, belle fin d'étape pour accéder à la station de ski italienne de Prato Nevoso.

    Comme prévu par les observateurs, le col d'Agnel était certes haut et classé hors-catégorie, mais suivi de 100 km de plat et trop loin de l'arrivée pour provoquer une bagarre. Le peloton l'a monté à allure modérée, les leaders essayant d'éviter de perdre trop de coéquipiers, ce qui a fait le bonheur du petit groupe d'échappées qui s'était détaché juste avant la montée : Egoi Martinez, l'Espagnol d'Euskatel José-Luis Arrietta, l'Espagnol d'Ag2R, Danny Pate, l'Américain de garmin Chipotle, bientôt rejoints par Simon Gerrans , l'Australien de Crédit Agricole. Plus de dix minutes d'avance sur le peloton au sommet du col pour eux, écart qui a encore monté suite au ralentissement du peloton choqué par la chute d'Oscar Pereiro (sept mètres plus bas dans un lacet de la descente). L'ancien vainqueur du Tour 2006 (ce qu'on peut seulement dire depuis cette année et le déclassement de Floyd Landis) ne pourra donc pas dynamiter la course, lui qui semblait avoir de bonnes jambes (en témoigne sa tentative d'échappée dans l'étape de Foix), et ses fractures le priveront aussi de Jeux Olympiques. JO de Pékin, qui seront en revanche la tasse de thé de l'homme de Man, Marc Cavensidh ayant officiellement décidé d'abandonner.

    Revenons-en à l'étape Embruns-Prato Nevoso, qui arrivait donc en Italie. Sans doute l'étape où les Français furent les plus discrets lors de ce Tour. On vit bien Thomas Voeckler pointer le bout de son nez pour prendre la cinquième place au sommet du Col d'Agnel, capitaliser quelques points pour le maillot à pois, et prendre une minute d'avance sur le peloton en début de descente. Mais, seul à plus de 10 minutes des échappés, il comprit bien vite que c'était du chasse-patate. Donc, pas de Français, ni dans l'échappée du Jour, ni dans l'explication finale entre leader, Stéphane Goubert et Sandy Casar terminant à une honnête place dans les vingt premiers, mais loin de la bagarre.

      Il y eut donc deux batailles physiques et tactiques, deux histoires dans cette fin d'étape.

     La bagarre pour la victoire d'étape : Egoi Martinez était à priori le plus fort, et en général, quand on a une arrivée au sommet comme celle-ci, ça suffit. On voit souvent le plus grimpeur des échappés s'envoler et quitter ses camarades. Visiblement, Egoi martinez n'était peut-être pas tant supérieur en qualité de grimpeur que ses compagnons d'échappée, car sa première accélération lâcha certes José-Luis Arrietta, mais ne lui permit de prendre que quelques mètres sur Danny Pate, lui même quelques mètres devant Simon Gerrans. Et, contrairement aux meilleurs grimpeurs, Egoi Martinez ne parvint pas à en remettre une seconde couche. Dany Pate, qui avait pourtant donné l'impression à ses compagnons d'échappées et aux observateurs d'être au bout du rouleau au bas de la montée, parvint à recoller. Egoy Martinez était fort marri de se retrouver avec cette sangsue. Il mena l'essentiel de la montée, cédant quelques relais à Danny Pate. Simon Gerrans, de retour lui aussi, ne put prendre aucun relais, car il s'accrochait difficilement, à moins qu'il soit en train d'appliquer la tactique de bluff utilisée par Pate dans la vallée. Bref, dans cette côte irrégulière, on se retrouva avec trois hommes menés par Egoi Martinez qui parvenait à assurer un bon train, mais pas à accélérer de façon tranchante. Il essaya encore une ou deux fois, mais il ne réussit j'amais qu'à prendre une dizaine de mètres, avant que les autres retrouvent sa roue. Et, ce fut finalement le meilleurs puncher, qui s'imposa lors du sprint au sommet, à savoir Simon Gerrans l'Australien. Egoi Martinez deuxième. Danny Pate troisième; José-Luis Arrieta n'arriva pas loin, quarante secondes plus tard. Je ne sais pas si le coureur d'Ag2R songea à un moment de la montée qu'il pouvait rejoindre les autres, mais en tout cas, il n'a sans doute pas baissé les bras, car sa performance permettait à l'équipe d'Ag2R de bien se classer sur cette étape. Deuxième du général du classement par équipes derrière la CSC, le groupe français réussit à conserver sa place, et même à réduire un tout petit peu l'écart. En effet, avec la quatrième place d'Arrieta avec quatre minutes d'avance sur les meilleurs du peloton, et la plutôt bonne montée de Stéphane Goubert, Tadej Valjavec et Vladimir Efimkin (six minutes de retard environ), Ag2R fur première de cette étape, juste devant la CSC, qui elle eut trois hommes forts (entre quatre et cinq minutes de retard) avec Carlos Sastre, Franck et Andy Schleck.

   La bagarre pour le classement général : Parlons donc de ces hommes forts. Dans un peloton, qui suite à la chute d'Oscar pereiro et la chute collective à un rond point à Cuneo, regroupait pratiquement tous les coureurs à cinquante kilomètres de l'arrivée, les CSC décidérent d'imprimer un bon train, en faisant rouler tour à tour les équipiers dans leur ordre de qualité en montagne. Stuart O'Grady le puncheur australien dans la petite bosse de troisième catégorie à 25 km de l'arrivée, Arvesen le vainqueur d'étape norvégien Fabian Cancellara le gros rouleur suisse dans la plaine avant le col, Jens Voigt le battant Allemand dans l'avant-col prirent tour à tour le relais avant de lâcher prise quand ils étaient usés. Au début du col, ce fut au tour d'Andy Schleck, le jeune (qui a perdu tout espoir de gagner le Tour dans l'"étape de Lourdes-Hautacam) d'accélérer. Et, là tout de suite, la sélection se fit. Devant ses supporters Damiano Cunego le leader italien de la Lampre ne put suivre. Pas non plus de Kim Kirchen (le Luxembourgeois de Team Columbia, 7éme du général), Vladimir Efimkin (le Russe d'Ag2R, huitième du général), ou de Vincenzo Nibali (l'Italien meilleur jeune de la Liquigas), repoussés dans un second groupe, derrière la maillot jaune. Car Cadel Evans, privé de son coéquipier de Silence-Lotto, Jaroslav popovych qui ne pouvait pas non plus suivre, était bien dans la roue de ses adversaires. Le groupe mené par Andy Schleck comprenait donc les six premiers du général (dans l'ordre) l'Australien Cadel Evans,  le Luxembourgeois Franck Schleck, l'Américain Christian Vandevelde , l'Autrichien Bernard Kohl, le Russe Denis Menchov, et l'Espagnol Carlos Sastre. Avec eux, il y avait aussi Alejandro valverde, l'Espagnol, leader de la Caisse d'Epargne, Samuel Sanchez l'Espagnol aussi et Roman Kreuziger le tchéque. Un tour très international donc ! Tous les coureurs étaient seuls pour leur équipe, sauf la CSC, avec ses trois coureurs, Andy et Franck Schleck et Carlos Sastre. Celui-ci mit une accélération, que Kohl suivit. Se calant dans la roue de Denis Menchov, Cadel Evans revint. Tout le monde revint d'ailleurs, même Andy Schleck, qui n'avait donc pas fini son travail ou les coureurs qui faisaient le plus l'accordéon, Vandevelde, Kreuziger et Sanchez. Après les accélérations de début de montée, tout le monde se regardait. Cadel Evans était très méfiant et s'occupait surtout de surveiller Franck Schleck qui n'était qu'à une seconde au général de lui. Quelques coureurs relancèrent le rythme, par des accélérations épisodiques, mais celui qui fut le plus en tête fut Andy Schleck, qui travaillait pour ses leaders. A mi-pente, une accélération fut tranchante : ce fut celle de Denis Menchov. Il avait pris une cinquantaine d'avance sur Andy Schleck puis le groupe maillot jaune, quand il glissa dans le virage. Plus de peut que de mal, mais il se retrouva derrière le groupe maillot jaune qui n'accéléra pas et lui permit de revenir. A ce stade, Cadel Evans tenait bon. On ne le sentait pas forcément le plus explosif, car on voyait qu'il avait parfois répondu aux attaques avec un petit temps de retard. Mais, il n'était pas perdu physiquement. Pas non plus tactiquement (il avait bien insisté dans les conférences de presse qu'il lui faudrait avoir de la tête, car il s'attendait à être attaqué par les CSC) Sa stratégie c'était donc avant tout de bien surveiller Franck Schleck, puis en cas d'attaque d'autres coureurs, ne pas s'affoler et se mettre dans le rouge, mais regarder si d'autres coureurs ne réagissaient pas, et essayer de se faire ramener par ceux-ci. Cadel Evans n'est pas un coureur d'à-coups. Finalement à trois km de l'arrivée, un coup réussit à partir sans le maillot jaune. C'était Carlos Sastre qui avait attaqué, Bernard Kohl qui avait suivi. Puis Denis Menchov, et enfin Alejandro Valverde. Cette fois-ci Cadel Evans n'avait pu suivre. Il ne s'affola pas pourtant et participa à l'avancée de son groupe, se calant parfois dans la roue de Roman Kreuziger et Samuel Sanchez, et surveillant Franck Schleck, dont le frère Andy ne roulait plus, et pour cause le co-leader de la CSC, Sastre était échappé. Sastre, qui collaborait avec Menchov, Kohl et Valverde qui voulaient eux aussi prendre le plus d'avance. Bernard Kohl était très motivé puiqu'il savait que les trois premiers du général étaient repoussés derrière. Et, pour se donner toutes les chances de prendre la maillot jaune, l'Autrichien donna tout ce qu'il a en accélérant dans les deux derniers kilomètres,provoquant le lâchage de Menchov puis de Valverde. Sastre termina sixième de l'étape bien calé dans la roue de Kohl. Mais le maillot jaune se jouait aussi juste derrière. Franck Schleck, encouragé par son frère, avait attaqué dans les derniers hectomètres, et distancait de neuf secondes Cadel Evans. Le maillot jaune lui revenait donc, sept secondes devant Bernard Kohl et huit secondes devant Cadel Evans. Trois coureurs en moins de dix secondes, et  même six coureurs en moins de cinquante secondes, avec Denis Menchov replacé quatrième à trente secondes, Christian Vandevelde, cinquième et Carlos Sastre, sixième. De si petits écarts au début de la troisième semaine, de quoi faire jaser les observateurs, qui ne s'attendaient pas à avoir une fin d'étape aussi intéressante. Une course de côte avec un col de première catégorie, avait dit Laurent Fignon. Mais, justement, le fait que la montée de Prato nevoso soit courte, mais avec des irrégularités, que les écarts étaient minimes avant l'étape, a rendu la course intéressante et explique son verdict. Beaucoup de coureurs peuvent croire encore à un beau destin. Alors, ils se battent, et ce pour la moindre seconde, là où à l'époque où un leader écrasait le Tour (genre Lance Armstrong), il s'envolait dans la dernière étape et les écarts se chiffraient en minutes. Finalement, parfois, ce n'est pas mal que les niveaux soient homogènes.


        Le plus Alléchant à venir

       Les deux étapes alpestres, avec une arrivée en descente et une arrivée en montée (l'Alpe d'Huez) qui viennent sont toutefois très difficiles : les derniers cols sont des hors-catégorie, et s'enchaînent sans trop de plat, après d'autres grands cols. Même si la course ne se décante que lors du dernier col (le temps des offensives de leader partant de loi est malheureusement révolu), il pourrait bien y avoir certains des prétendants éliminés de la course au maillot jaune.
      Notons pour être complet que Kim Kirchen et Vladimir Efimkin ont pour l'instant conservé leur septième et huitième place, et que Alejandro valverde s'est replacé à la neuvième place (tous ces hommes étant à moins de cinq minutes du maillot jaune) L'ancien favori numéro 2 du Tour, en cas de grand numéro, peut revenir dans la course.
         Mais, examinons les six principaux prétendants.

       Cadel Evans a peut-être perdu le maillot jaune, mais en l'état des choses, compte-tenu du contre-la-montre de samedi, il reste en position pour s'imposer. Il va lui falloir avoir de bonnes jambes dans les Alpes, et qu'il s'accroche pour ne pas laisser trop de champ à ses adversaires. Avoir une minute de retard au sortir des Alpes sur un maillot jaune grimpeur pourrait être suffisant.
       Denis Menchov est un candidat sérieux. De plus, il n'est pas trop limité en contre la montre, et si c'est lui qui a une minute d'avance sur Cadel Evans au sortir des Alpes, ce sera peut-être perdu pour l'Australien. Comment le Russe peut-t-il se rapprocher encore un peu du maillot jaune dans les Alpes ? Lui faut-t-il attaquer, lui qui est plutôt discret ? Ou lui faut-t-il suivre les attaques des grimpeurs ? Le coureur de la Rabobank est énigmatique, mais s'il y avait un coureur qui faisait une Lance Armstrong dans cette fin de Tour, ce ne serait pas surprenant que ça soit lui.
        Bernard Kohl est deuxième du général. Le maillot jaune est à portée de doigt, et il aime la montagne. Il s'est d'ailleurs emparé du maillot à pois. On ne l'attendait pas aussi bien placé, lui même non plus. Et, dans ce genre de configuration, on s'attend toujours à voir le rêve cesser. En tout cas si il a de bonnes jambes dans les étapes qui viennent, il attaquera. Il n'est pas favori pour le maillot jaune, mais favori pour le maillot à pois, certainement.
          Christian Vandevelde est cinquième. je me trompe peut-être, mais je sens qu'il sera éjecté de la course au maillot jaune lors des prochaines étapes, où à un moment il ne pourra plus suivre dans les cols. Mais, si jamais il se débrouillait bien dans les Alpes, tous les espoirs lui serait permis, car c'est un bon rouleur contre-la montre.
           Enfin, Franck Schleck et Carlos Sastre, favoris au même titre que Denis Menchov et Cadel Evans. Ils sont de la même équipe, et sont plutôt grimpeurs. Donc, ils seront obligés d'attaquer en montagne. Et, il faudra à l'équipe CSC, coachée par Bjarne Riis, être forte physiquement (ce qui pour l'instant est le cas) et tactiquement, ce qui est aussi pour l'instant le cas, comme on a pu le voir à Prato Nevoso, où ils ont atteint leurs objectifs : maillot jaune pour Schleck, rapproché au général pour Carlos Sastre. Cela dépendra bien sûr de la forme de chacun, mais deux grands choix tactiques sont possibles pour les CSC :
         -La bourrine : Carlos Sastre peut accélérer avec dans sa roue le maillot jaune Franck Schleck en espérant lâcher tout le monde. Ca peut permettre à la CSC d'assommer le Tour, et d'envisager un doublé. Mais, il ne sera pas facile de lâcher tout le monde, et si un petit malin parmi les adversaires a de meilleures jambes, il peut contrer et laisser sur place les deux hommes. Cette tactique s'applique de préférence dans le dernier col, à moins de vouloir rejouer un final à la Hinault-Lemond à l'Alpe d'Huez en 1985(les deux hommes coéquipiers avaient pris cinq minutes d'avance - oui, les écarts étaient énormes à cette époque - au pied de la dernière montée et avaient gravi ensemble les virages légendaires. Hinault faisant le train pour son coéquipier américain maillot jaune, partagé entre son sens du devoir, et le rêve qu'il aurait pu entrevoir de gagner un sixième Tour de France)
         -La vicieuse :  faire échapper Carlos Sastre, et cesser de faire le travail en tête du peloton, voir la réaction des adversaires. En cas de poker menteur, c'est tout bon pour Carlos Sastre. Si en revanche, ils s'entendent et se mettent à rouler fort, cela peut être l'occasion de les fatiguer pour que Franck Schleck place un contre. Cette tactique repose donc sur un pari de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Cela peut frustrer un des deux leaders, quand bien même on dira que l'important c'est la victoire de l'équipe. Cette tactique peut se mettre en place dans les premiers cols, ce qui permet d'avoir une course intéressante très tôt, avec du suspense. Mais, il ne faut pas avoir peur que les écarts soient finalement creusés à ses dépens. Cette tactique est aussi valable dans le dernier col, auquel cas la configuration n'est plus les coéquipiers l'un dans la roue de l'autre, mais celle du sandwich ou de la tenaille, autour des adversaires.
       Notons pour finir qu'une des pièces maîtresses de la tactique des CSC sera Andy Schleck, qui ne peut plus gagner le tour de France, mais peut donner un sacré coup de main pour dynamiter la course.

          Pour finir un petit casse-tête pour vous : le tour de France 2009 partira de Monaco. Alors, comment ne pas mettre trop de difficultés dans la première semaine (pour ne pas faire râler les sprinters), passer par les Alpes, passer par les Pyrénnées, passer par le tiers Nord-Est de la France (laissé de côté cette année), le tout en minimisant les transferts par avion, voiture,... ?
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