Bilan des élections législatives

Publié le par Loïc

En tout cas, j’ai bien fait d’attendre le deuxième tour pour faire le bilan définitif de ces élections législatives. En résumé, le premier tour a été une grosse victoire pour la droite, avec plus d’une centaine d’élus à la majorité absolue, contre un seul élu du Parti Socialiste. Et, au second tour, il y a eu un rééquilibrage. La majorité présidentielle l’a emporté d’extrêmement peu en pourcentage et en nombre d’élus pour ce seul tour. Le bilan donne donc 340 députés pour la majorité de droite et un peu plus de 220 députés pour l’opposition de gauche

            Prime aux gros partis et aux sortants, ce qui est une des caractéristiques des élections législatives en France. Dommage pour les partis qui n’ont pas de stratégie d’alliance avec l’UMP ou le PS, comme la LCR et les autres partis d’extrême gauche et le FN et les autres partis d’extrême droite (qui de toute façon n’ont pas fait un score très énorme) et le MODEM, représentant le centre. Le Mouvement Démocrate aurait sans doute eu un groupe plus large avec un scrutin proportionnel, ce qui aurait été utile à la vie des débats parlementaires mais il n’aurait certainement pas été majoritaire.

 

 

            Un centre déchiré, mais un espoir intact

 

 La route est longue pour le nouveau parti. Il n’avait pas beaucoup de sortants, et deux des anciens députés ont été battus dès le premier tour : Gilles Artigues et Anne-Marie Comparini avaient courageusement choisi de rester fidèles à la ligne centriste de François Bayrou, et avec un candidat UMP (en plus du candidat PS et des autres), en face d’eux,  ils n’ont pas pu conserver leur siège. Jean Lassalle et François Bayrou, qui briguaient, eux aussi un nouveau mandat de député ont réussi, eux, à atteindre le second tour dans des configurations de triangulaires (face à un candidat UMP et face à un candidat PS). Pour François Bayrou, la situation était favorable et encore favorisée par le retrait unilatéral du candidat UMP, et le président du MODEM rejoignit le Palais Bourbon. Pour Jean Lassalle, dans une circonscription voisine, la tâche était plus périlleuse. Arrivé au premier tour en deuxième position derrière le candidat UMP et devant la candidate socialiste, il est parvenu en tête de ce qui a été finalement la seule triangulaire du second tour. Les autres candidats MODEM, qui étaient parvenus au second tour (quatre ou cinq), affrontaient eux un candidat de droite. Jean-Marie Cavada ne parvint pas à battre Henri Plagnol, mais le contingent du MODEM a été complété par un élu de Mayotte et Thierry Benoît, élu dans une circonscription de l’est de l’Ille-et-Villaine. Le cas de Jean-Christophe Lagarde, en Seine Saint-Denis, est un peu différent. Il était aussi élu UDF sortant. Après avoir hésité dans un premier temps, il était finalement resté fidèle à la ligne de François Bayrou à travers le second tour des présidentielles, en déclarant toutefois qu’il ne fallait pas diaboliser comme cela Nicolas Sarkozy. Il n’était pas allé chercher une place au gouvernement comme Hervé Morin (avec succès) et d’autres (avec moins de succès). Mais, il eut cependant le droit à un traitement de faveur, l’UMP ne présentant pas de candidat dans sa circonscription. Dans un premier temps, il fut proche d’adhérer au parti centriste refondé, UMP-MODEM, et ne se rallia pas au nouveau parti de centre droit, le Nouveau Centre, créé par Hervé Morin, François Sauvadet, Maurice Leroy et André Santini entre autres, juste avant les législatives pour regrouper le pôle centriste au sein de la majorité présidentielle. Finalement, Jean-Christophe Lagarde ne se présenta sous aucune étiquette nationale à l’élection, et l’emporta au second tour face au candidat socialiste. C’est alors qu’il fit son choix : rejoindre le groupe parlementaire du Nouveau Centre, fort de 23 membres. Le MODEM plafonne de son côté à 4 députés, ce qui n’est pas suffisant pour former un groupe. Mais, le parti de François Bayrou compte bien sur son nombre d’adhérents pour gagner la guerre du centre et les prochaines batailles électorales (municipales, régionales, européennes).

En schématisant grossièrement, le MODEM est un parti avec beaucoup de militants et peu d’élus, tandis que le Nouveau Centre a plus d’élus mais moins de militants. Les différences idéologiques entre les deux partis ne sont pas trop marquées : qu’il s’agisse de Marianne de Sarnez ou de Jean-Marie Cavada pour le MODEM, d’Hervé Morin ou de Maurice Leroy (mais pas André Santini qui avait franchi le Rubicon de l’allégeance à Nicolas Sarkozy dès le début de la campagne présidentielles), ils avaient tous adhéré au projet présidentiel de François Bayrou. Les atermoiements de Jean-Christophe Lagarde (que j’avais trouvé plutôt bon et représentatif de l’émergence d’un centre moderne lors de la campagne présidentielle en faveur de François Bayrou) en sont la preuve.

La différence se fait en fait sur la tactique. Vaut-t-il mieux influencer les choix politiques des cinq ans à venir à l’intérieur ou à l’extérieur ? Le Nouveau Centre, quitte à faire des concessions à l’UMP, a choisi de travailler dans la majorité et d’essayer d’infléchir certains choix politiques. En ce moment, on parle par exemple beaucoup de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux prochaines élections législatives (dont j’expliquais les avantages plus haut). Le MODEM a choisi, lui, de s’afficher comme parti libre, d’approuver les bonnes décisions du gouvernement, et  de contester ses mauvais choix politiques. Dans sa stratégie présidentielle, François Bayrou, écoutant un désir certain de ses électeurs du 22 avril, a choisi de ne plus revenir en arrière sur le chemin qui l’a éloigné de la droite. Chemin entamé en 2002. Depuis, il a perdu tout à tour différents appuis politiques de centre droit : d’abord ceux qui ont choisi de rejoindre l’UMP à sa création, tels Philippe Douste-Blazy et Dominique Paillé, puis ceux qui au cours de la législature, ont voté sans discontinuer la confiance au gouvernement, et ont finalement soutenu Nicolas Sarkozy à la présidentielle, tels Gilles de Robien et André Santini,  puis ceux qui ont répondu favorablement à l’ouverture de la majorité de Nicolas Sarkozy au centre tels Hervé Morin, François Sauvadet et Maurice Leroy, et enfin Jean-Christophe Lagarde. Mais, la défection d’élus ne signifie pas forcément la perte de sympathisants, puisque les deux traversées du désert ont été ponctuées par la vague orange de la présidentielle, où François Bayrou a réuni sur son projet espoir près de 7 millions de suffrages. La sensibilité centriste correspond à une réalité en France, où beaucoup se méfient des mesures idéologiques de la gauche et de la droite.

 

            L’électorat de l’UDF est cette fois-ci totalement recentré, réunissant autant de gens qui penchent un peu plus à gauche que de gens qui penchent un peu plus à droite.  Ceux qui disent que l’UDF soit passé d’un parti de centre droit à un parti de centre gauche se trompent selon moi en analysant les choses sous le prisme de la bipolarisation. S’il y a eu effectivement un assez important report des voix des électeurs MODEM du premier tour vers les candidats PS du second tour dans les circonscriptions (majorité des cas) où la gauche affrontait la droite, je crois que cela a été dicté principalement par la question de l’équilibre des pouvoirs. Le MODEM n’a pas vocation à être un parti supplétif du PS, comme le Nouveau Centre l’est pour l’UMP. Il a vocation à être un grand parti central et populaire, qui peut prendre part aux affaires en participant à des alliances diverses selon le contexte. Par exemple, trouver des équipes municipales PS-MODEM en Bretagne et des équipes municipales UMP-MODEM en Alsace ne me choquerait pas.

 

            Cela dit, d’une manière générale, il ne faut pas se leurrer. Dans le cadre d’une alliance, si on veut avoir une réelle influence politique, il faut représenter une fraction suffisamment importante du corps électoral. Un Parti hégémonique ne tendra pas à respecter les idées de ses alliés.

 

            Une Assemblée bicolore

            Si les esprits sont plutôt partagés, dans les faits, en tout cas, la bipolarisation de la vie politique est en marche. Deux blocs se feront face à l’Assemblée. Le Parti Socialiste, loin d’être au point dans son projet alternatif, a quand même réussi à se constituer un groupe conséquent d’opposition de plus de 200 députés. Leurs alliés se contentent de la portion congrue. Même si les candidats Verts ou communistes arrivés au second tour, bénéficient du reflux de la droite, pour obtenir quelques sièges. Un groupe technique Gauche Démocrate et Républicaine, regroupant les Verts, les communistes et des socialistes des DOM-TOMs a pu être constitué. Finalement, on n’atteindra donc pas le record évoqué dans les médias du plus petit nombre de groupes parlementaires, puisqu’on aura les deux petits groupes (passant tout juste la limite de 20 députés) du Nouveau Centre  et de la Gauche Démocrate et Républicaine à côté des deux grands groupes : Parti Socialiste et alliés (Mouvement Citoyen et Radicaux de Gauche) et donc le groupe majoritaire de l’Union du Mouvement Populaire.

 

            La campagne législative à revoir


            Notons encore une fois l’influence essentielle des jeux des médias et de la communication dans ce qui s’est passé. Comme je l’avais souligné, dans le mois qui a précédé le premier tour des élections législatives, du point de vue national, la campagne proprement dite  pour les législatives n’a pas trop occupé les médias. Les gros titres de l’actualité politique concernaient la formation et les premiers pas du gouvernement de François Fillon, les différents rendez-vous de Nicolas Sarkozy, et la rénovation du parti socialiste. La campagne nationale s’est résumé à :

      « il faut donner une majorité claire à Nicolas Sarkozy pour qu’il applique comme il l’a promis le programme sur lequel il a été élu » pour l’UMP et

       « il est nécessaire qu’il y ait un rééquilibrage des pouvoirs, car jamais un tel pouvoir n’a été aussi concentré dans les mais d’un camp et d’un homme » pour le Parti Socialiste et le MODEM.

            Un peu court, n’est-ce-pas ? Dans certains endroits, il y eut sans doute une campagne locale vivante. Mais le fait est qu’on est arrivé aux premiers tours des législatives sans avoir vraiment débattu de ce qu’il fallait voter, et pourquoi on votait. Seuls les enjeux locaux pouvaient motiver à coup sûr les électeurs.

            Ceci montre bien que la réforme institutionnelle, entamée par l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier, doit être complétée.

            Comme le résultat semblait acquis (combien de fois a-t-on entendu cette justification bête de toutes les mesures que prenaient et prendraient Nicolas Sarkozy et son équipe : « de toute façon, 53% des français sont pour »), la vague bleue a logiquement déferlé sur le premier tour. Et, finalement cette soirée d’élections de dimanche 10 juin a correspondu à la première vraie émission de débat politique à grande audience de ces échéances législatives. On y voyait plus clair. Certains étaient déjà élus, d’autres étaient en ballottage périlleux, les pourcentage de vote donnaient une nouvelle image des rapports de force : érosion du nombre de voix du MODEM et du FN par rapport aux présidentielles, le parti socialiste qui n’atteignait pas les 30% de voix. L’UMP établissait un nouveau record de pourcentage de voix à un premier tour de législatives dans la cinquième République. Ces chiffres devaient toutefois aussi être analysés à l’aune d’une forte abstention.

            Le débat se cristallisa notamment sur la question sur les intentions du gouvernement concernant la TVA posée par Laurent Fabius à Jean-Louis Borloo. Et, la TVA sociale entra dans le débat du second tour. Cette fois-ci, les simplismes servirent électoralement la gauche, avec leurs affichages : « Votez pour le Parti Socialiste, votez contre la TVA à 25% ») Pourtant, l’augmentation de 5% de la TVA n’était pas à strictement parler au programme de l’UMP. Il s’agissait plutôt d’examiner les possibilités de mise en place de la TVA sociale, qui à l’origine est, je le rappelle, un financement de la sécurité sociale par un basculement d’une partie des cotisations patronales portant sur le travail pour les entreprises françaises sur une augmentation des points de TVA portant sur la consommation pour les produits du monde entier. Il s’agissait donc seulement d’un stade de réflexion. Les membres de la majorité présidentielle sont d’ailleurs assez partagés sur cette question. La campagne de la majorité s’est enlisée sur cette question avec les contradictions entre les différents intervenants UMP, celles entre ce qu’on pensait et ce qu’il fallait dire : c’est quand même un peu cavalier d’affirmer tout de go qu’il n y aura pas d’augmentation des prix, voire diminution des prix avec la TVA sociale. Certains candidats locaux UMP n’étaient pas en mesure d’expliquer réellement de quoi il s’agissait, l’électorat populaire, qui s’était porté sur Nicolas Sarkozy à la présidentielle, douta et ne se déplaça pas aux urnes. Des régions traditionnellement ouvrières, comme le Nord-Pas-de-Calais, élurent finalement un député socialiste plutôt qu’un député UMP. Dans la circonscription d’Hénin-Beaumont, seule candidate Front National du second tour, Marine le Pen, limita les dégâts, évitant peut-être l’érosion de l’électorat populaire qui avait touché la droite gouvernementale, mais fut battue par le candidat de gauche. En Moselle, Aurélie Filippetti, la jeune socialiste fille de mineurs remporta une victoire symbolique sur le candidat UMP héritier de patrons de forges. 

Nationalement, on eut une abstention assez forte comme au premier tour, mais il s’avéra que les électeurs étaient un peu différents, ce qui permit le rééquilibrage entre les voix de gauche et de droite.

Dans le reflux, Alain Juppé, le Ministre d’Etat du Développement Durable, fut battu à Bordeaux. Michelle Delaunay, son adversaire socialiste, était une battante et Alain Juppé aurait peut-être pu s’abstenir de la petite phrase comparant Ségolène Royal venu la soutenir au SAMU. Le fait que les enjeux pour Alain Juppé étaient nationaux ne devait pas pour autant délégitimer Michelle Delaunay dans ce scrutin bordelais. Elue, elle se prononça d’ailleurs en faveur du maintien d’Alain Juppé à ses fonctions gouvernementales. Mais, les règles étaient claires (répétées à l’envi par Nicolas Sarkozy et François Fillon), Alain Juppé devait démissionner du gouvernement. Le « meilleur d’entre nous » essuyait un nouvel échec dans sa tentative de retour au premier plan. Et, je me demandais ce qu’il allait advenir de ce grand Ministère d’Etat du Développement Durable, regroupant les portefeuilles de l’environnement, des transports, de l’équipement et de l’aménagement sous la houlette d’un homme politique de poids aussi bien national qu’international. Je craignais que cette nouvelle volonté politique en faveur du développement durable soit tuée dans l’œuf.

 

 

Le Projet de Nicolas Sarkozy : gouvernement validé et perspectives

 

            Je n’aime pas trop le jeu des chaises musicales qui s’en est ensuivi : Jean-Louis Borloo passant de la Stratégie Economique au Développement Durable, Christine Lagarde passant de l’Agriculture à la Stratégie Economique. Enfin, on verra.

 

            Pour la TVA sociale, je demande aussi à voir. Je suis favorable à son examen et à son expérimentation. Mais, les conditions d’application seront importantes, et je ne suis pas du tout convaincu par le gros du paquet fiscal : je ne vois pas par exemple en quoi une exonération des droits de succession, qui pousse à la contribution de patrimoines, est une mesure à faire de toute urgence pour relancer l’économie. Le bouclier fiscal est exposé simplement par Nicolas Sarkozy : personne ne travaillera pour contribuer à l’argent de l’état plus de la moitié de l’année. Mais, en vérité, cela contribuera à créer des niches fiscales, pour une minorité de plus riches et de plus malins. Et, je ne crois pas que la France peut être la meilleure en dumping fiscal. Donc, l’idée du « choc fiscal » qui relance la croissance me rend sceptique. Sur la déduction des intérêts d’emprunts pour l’achat de biens immobiliers, le bilan me semble assez aléatoire, et ceux qui y gagneront le plus risquent d’être les banques et les agences immobilières. Je ne sais pas si Nicolas Sarkozy parviendra à son objectif de faire de la France un pays de propriétaires, mais en tout cas son objectif d’avoir des ménages plus endettés - au Ministère des Finances, il avait déclaré « le problème c’est que l’Etat est trop endetté, et les ménages pas assez endettés » - est à portée de main. Seule la construction de nouveaux logements peut limiter la flambée des prix de l’immobilier.

 

            Pour conclure, je dirais qu’il y a encore bien du travail pour moderniser aussi bien économiquement qu’institutionnellement la France. On a cette fois-ci vraiment largué les amarres pour un voyage de cinq ans avec le capitaine Sarkozy. Il faut espérer qu’il ne barre pas trop vers des tempêtes qui feraient passer trop de passagers par-dessus bord.

Publié dans Politique et société

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