Marianne

Publié le par Loïc

Aujourd’hui, je vais vous parler de l’hebdomadaire Marianne. Fondé par le patron de presse, Jean-François Kahn ( un ami bloggueur lui rend hommage ), le titre renvoie à l’allégorie de La Liberté Guidant le Peuple du tableau de Delacroix sur la Révolution Française, à cette femme seins nus, portant le bonnet phrygien, et brandissant le drapeau français sur une barricade, devenue le symbole de notre République. Marianne, avec le Nouvel Observateur, le Point et l’Express, appartient au créneau des grands hebdomadaires d’actualité nationaux, à échelle de temps intermédiaire entre le journal quotidien et l’essai. Ceci permet donc de prendre un peu de recul sur les nouvelles du jour, et les replacer dans un contexte plus général, sans perdre la fraîcheur de l’actualité récente. Il n y aura toutefois jamais l’espace pour une analyse exhaustive et profonde, que peut proposer un livre sur un thème, mais les dossiers de l’hebdomadaire (trois ou quatre par numéro chez Marianne), permettent quand même d’avoir un panorama assez étendu sur les questions traitées.

 

Les sujets abordés sont en général politiques, et inévitablement une  partie non négligeable d’entre eux dans ces dernières années ont été consacrés à Nicolas Sarkozy : son ascension, sa personnalité, son programme, ses amitiés, ses idées, sa méthode. En général, Marianne est assez critique sur notre Nouveau Président. Mais, je trouve que leurs attaques contre Sarkozy et ses dérives sont rarement gratuites, et plutôt bien argumentées. Bien sûr, je comprends que les gens qui essaient de faire confiance au Nouveau Président puissent se sentir un peu blessés par la multiplication des unes, telles « Le Vrai Sarkozy », « Le Vrai Sarkozy au pouvoir » Mais je les invite à ne pas se fermer à quelques gros titres et phrases chocs. Pour avoir lu le numéro sur le vrai Sarkozy avant les élections présidentielles, qui, pour un minimum d'équilibre, a été suivi par un autre rassemblant cette fois-ci les défauts de Ségolène Royal et de François Bayrou, je peux dire qu’on était loin de l’acharnement diffamatoire. Je pense que cela fait partie de la liberté de la presse d’évoquer certaines sautes d’humeur et comportements autoritaires ou sans-gêne de Nicolas Sarkozy, qui pourraient affecter sa Présidence. Il était bon aussi de rappeler certaines des contradictions du candidat Sarkozy, qui n’étaient pas forcément mises en évidence par une presse, qui, dans sa majorité ressassait les phrases toutes faites sur « Nicolas Sarkozy, porteur d’un projet clair »

La critique des confrères jugés trop obséquieux envers le pouvoir, la dénonciation d’exemples de choix éditoriaux manquant de courage ou de sujets laissés de côté par la panurgisme médiatique est une des grandes constantes dans les pages de Marianne. Ca peut devenir lourd à la longue, mais je trouve en général que ce genre d’éléments éclaire bien sur les dessous de la fabrique de l’information justement.

            Certains diront que Marianne a beau jeu de critiquer, mais il profite aussi des sujets qui ont le vent en poupe pour faire sa une : ainsi, il est vrai que l’émergence et l’élection de Nicolas Sarkozy sont plutôt positives pour les ventes de Marianne, qui titrait après la victoire du président de l’UMP : "n’ayez pas peur ! : des raisons d’espérer". Ma foi, c’est un peu un juste retour des choses que l’hypermédiatisation de Nicolas Sarkozy passe aussi à travers des journaux moins complaisants. Marianne affiche clairement la couleur de son anti-sarkozysme, mais ne critique pas forcément tout ce qu’il fait, les journalistes peuvent même trouver des éléments intéressants dans sa politique. Les titres de la presse pro-sarkozyste, le seront sans doute moins ouvertement, mais au fond tout autant. Et, si ses éditoriaux évitent la mauvaise foi, ça ne me choque pas plus que ça qu’un journaliste affiche sa position. Sans parler des chaînes de télévision, comme TF1, qui malgré leur pseudo-objectivité, font des choix éditoriaux pas innoncents, là où Le Monde et Le Figaro avancent plus masqués, Marianne a publié un sondage interne à sa rédaction pour les présidentielles, où on voyait que certes la majorité des employés penchaient vers François Bayrou ou Ségolène Royal, avec une minorité non négligeable vers Buffet, Besancenot, Laguiller, Voynet et Bové, et aux alentours 10% pour Nicolas Sarkozy. En ce qui concerne Jean-François Kahn, lui qui avait théorisé le centrisme révolutionnaire, soutenait François Bayrou y voyant une occasion de percer un système sclérosé, qu’il qualifie souvent de bullocratie.  

 

            On entend souvent des gens de droite accuser Marianne de propagande gauchiste. Mais, outre les nuances apportées plus haut sur la non-homogénéité tout à fait normale de la rédaction, les choses sont un peu plus complexes qu’un simple combat manichéen gauche-droite. Ce clivage n’est guère défendu à Marianne, et même si on considère qu’en moyenne son centrisme penche un peu plus à gauche, le journal, même s'il est anti-sarkozyste, apprécie certains courants de droite, comme le gaullisme. Il est aussi très critique vis-à-vis d’une certaine gauche. Comme Nicolas Sarkozy, ils ne goûtent pas trop l’esprit permissif, libéral-libertaire, qui a cristallisé en mai 68. La gauche caviar et la bobo-attitude, l’appel à la régularisation massive des sans-papiers ou à l’arrêt du nucléaire, ce n’est pas trop le genre de la maison. Dans le dernier Marianne que j'ai lu, par exemple, concernant la décision de la commission de Grand sur le retrait de la France sur la directive européenne d'autorisation du maïs transgénique, Marianne se montrait plus mesuré quant à justification scientifique de celle-ci. Il y a sans doute presque autant de différences entre la ligne éditoriale de Marianne et celle de Libération qu’avec celle du Figaro. Mon propos n’est bien sûr pas d’appeler à jeter à la poubelle ces deux derniers journaux : ca reste de la presse d’opinion sérieuse, et il est heureux qu’il existe encore une grande variété de journaux en France. Mais, j’aime bien Marianne, c’est tout.

 

 

            C’est un journal dont les opinions sont assez tranchées, c’est vrai. Mais, je ne vois pas en quoi on devrait l’accabler de tous les maux, l’accuser d’être l’agent d’un parti ou d’un camp. Les rédacteurs et journalistes ont leurs idées, ils essaient de les justifier. Après, on est d’accord ou pas. Je ne suis pas toujours en accord avec ce qu’ils disent. Ainsi, je ne goûte parfois pas trop leur ironie facile concernant le comportement des Américains ou Israëliens au Proche et Moyen Orient. Ce n’est pas tant qu’ils ne mettent pas le doigt sur des vrais problèmes, mais plutôt que cela se fait plus souvent via des petits encarts à remarques perfides, que dans un dossier plus complet sur une situation éminemment complexe, qui doit être abordée autrement que par la surenchère de répliques à la « c’est pas moi, c’est eux », « c’est celui qui le dit qui y est »

            C’à quoi je suis sensible en revanche, c’est que je retrouve dans Marianne l’attachement que je peux avoir pour nos racines républicaines : la laïcité, le respect de l’Etat, et l’éducation pilier de notre société. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard (sans qu’on sache vraiment si la poule précède l’œuf ou vice-versa) si aux élections présidentielles de 2002 comme à celle de 2007, j’ai voté pour le candidat qui avait les faveurs de l’hebdomadaire : Jean-Pierre Chevènement, puis François Bayrou. Cela dit, je ne sais pad quand : je crois, après 2002, j’ai lu mon premier numéro de Marianne : je me rappelle d’un dossier sur les différentes tribus de jeunes.

 

            Je n’ai jamais été abonné à Marianne. Je l’achète de temps en temps en kiosque quand le titre m'interpelle, c’est tout. Je me souviens d’un numéro sur les nouveaux lyncheurs qui évoquait la façon dont les médias et autres milieux autorisés s’attaquaient assez unanimement à certaines cibles : un des exemples de victimes était Laurent Fabius ; on était alors en pleine campagne pour le référendum pour la Constitution Européenne, au début, quand le oui semblait sûr de l’emporter. Bien qu’en majorité plutôt favorable à l’adoption du traité constitutionnel, Marianne avait été un des premiers médias à souligner qu’on avait peut-être tort de penser que le oui était une évidence et pouvait être acquis sans discussion, et que ceux qui appelaient à voter non n’étaient pas forcément des abrutis ou des calculateurs.

            Je me souviens aussi d’un numéro sur la crise des banlieues, annonçant une enquête sur les vraies causes de celle-ci, ou d’un autre numéro proposant un test : « êtes vous pro ou anti-Chavez » : il y avait des éléments intéressants, mais comme pour les tests psycho, les questionnaires à choix multiples avec trois réponses, ça laisse vraiment sur la faim.

            Le dernier numéro que j’ai acheté, c’est celui présentant Nicolas Sarkozy comme "le Fou de Dieu". C’est un sujet qui m’a interpellé dernièrement dans l’actualité : notamment la petite phrase de Nicolas Sarkozy "Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance." qui m’a mis mal à l’aise. J’essaierais d’y revenir dans un billet suivant.

 

            Mais, continuons à parler de Marianne. Après avoir parlé de ce qui en constituait le fond, je vais en venir à la forme qui est parfois aussi l'objet de critiques. Ca ne m’a jamais choqué plus que cela, et à vrai dire je n’ai jamais remarqué, mais je veux bien croire que l’équipe de relecture et de mise en page de Marianne soit moins performante que dans d’autres hebdomadaires. Les fautes de style restent cependant très rares. Sans doute que d’autres journaux ont plus de grandes plumes. Cependant, dans les grands dossiers de Marianne, l’argumentation reste de qualité.

            En revanche, à mon goût, les pages de brèves sont du sous-Canard Enchaîné. Le célèbre journal satirique reste le meilleur pour collecter les petites phrases, et pour les restituer avec finesse. Cela dit, les brèves de Marianne ne sont pas nulles et certaines valent vraiment la lecture.

            On retrouve en milieu de journal des rubriques plus internationales, avec quelques sélections de nouvelles du monde, des portraits, du courrier des lecteurs. Comme dans tous les hebdomadaires, c’est forcément inégal, mais en moyenne intéressant. A la fin, des pages histoire, culture, technologie, shopping, voyage, avant la dernière page en général réservée à un billet d’Alain Rémond, un sujet qui s’inscrit dans le cadre du genre sans cesse renouvelé de « Moi et le Monde », un peu d’humour. Ca se lit plutôt bien. Cependant, j'ai pu lire de nombreuses pages  dans des livres ou sur des blogs, qui m’ont bien plus emballés.

            On accuse aussi Marianne d’avoir des couvertures racoleuses. Parfois même racoleuses au premier sens du terme : oui, c’est vrai, il m’est arrivé de voir sur un coin de la couverture l’annonce d’un sujet sur l’adultère, etc…, surtout en été.  Mais, ce n’est qu’un point de détail, et la critique vise d’ailleurs surtout les gros titres : outre ceux déjà évoqués sur Nicolas Sarkozy, on a le droit à des unes comme "les vrais privilégiés", "les profiteurs", "les cocus de sarkozysme". Cela, couplé  à la rengaine critiquant les autres médias, peut prêter le flanc à des accusations de poujadisme. D'ailleurs si Marianne est bien placé en ce qui concerne la vente en kiosques d'hebdomadaire, il est plus loin dans la hiérarchie des hebdomadaires en nombre d'abonnements, ce qui indique que le journal dépend beaucoup de l'accroche qu'il peut faire avec sa couverture. Mais, encore une fois, c'est loin d'être un torchon, comme le disent certains de ses détracteurs. L’argumentation qui sous-tend les gros titres est en général solide, donc on n’est bien loin d’un populisme anti-intellectuel.

 

            Et, en général, dans les débats politiques qu’on voit à la télé, j’aime entendre la pertinence des Jean-François Kahn, Laurent Neumann, Nicolas Domenach, Maurice Szafran et autres …. On ne peut pas être d’accord sur tout, mais encore heureux, c’est cela la presse d’opinion.

Publié dans Politique et société

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F
En fait, je crois que j'ai voté pour la première fois en 1992 ou 1993. Je n'ai pas pu voter au référendum de Maastricht, car j'étais alors en voyage en Hongrie. Comme je suis de la fin de 1972, j'ai du m'inscrire en 1991, seulement (pas d' élections cette année là)En 1995, j'étais à l'armée .C'est là que j'ai appris les résultats du premier tour et en 2000, c'était ma première élection en tant que scrutateur ....Depuis, je n'en ai pas manqué une !!!
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F
Merci pour cet hommage à Marianne (et au lien direct sur l'article)Qu'écrire, sinon qu'une fois encore, je suis entièrement d'accord avec toi, et que, en 2002 comme en 2007, j'ai voté comme toi !!!!
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L
De rien...Oui, comme quoi, on a certains points communs politiques... avec nos votes aux premier tour des deux dernières présidentielles, et d'ailleurs j'imagine qu'on a voté pareil aux deuxièmes tours aussi... Par contre ton histoire politique commence plus tôt, et j'imagine notamment que tu as voté en 1995, voire en 1988... Mon premier vote, ce fut soit des élections municipales, soit le référendum pour le passage au quinquennat... J'ai voté oui à ce vote où peu d'électeurs se sont mobilisés, mais mine de rien, en y réfléchissant, y aurait fallu accompagner ce changement de durée du mandat présidentiel de garde-fous constitutionnels plus réfléchis...