Immigration : droit du sang ?
Je n’ai pas d’avis tranché sur la question des tests ADN pour établir les liens de filiation pour ceux qui veulent émigrer avec leur famille. Cela ne m’apparaît pas comme un fichage généralisé des étrangers, puisque le cadre d’application est très restreint. Alors, crier au loup fasciste me semble exagéré. J’ai cependant pris note des arguments, moins radicaux et plus intelligents de spécialistes dont le généticien Axel Kahn …
Il souligne à juste titre les problèmes réels que poserait cette loi dans son application. L’exemple du sort des enfants dont le père découvrirait qu’ils ne sont pas de lui montre le tort que peuvent faire ces tests ADN. On pourra dire que ce seront des cas isolés. Axel Kahn cite toutefois le chiffre de 3 à 8% en moyenne en France d’enfants qui vivent avec un père qui n’est pas leur père génétique. Mais, de même, les fraudeurs à la fausse famille existent mais ils ne constituent qu’une petite part de l’immigration. Donc, l’utilité de la mesure des tests ADN est limitée, surtout si on prend en compte les problèmes qui apparaîtront pour l’appliquer. Ne serait-ce que en ce qui concerne qui va assumer le coût de ces analyses biologiques. L’idée selon laquelle la famille a un sens social plus que génétique sous-tend l’intervention d'Axel Kahn. Ce n’est pas faux.
Cela dit, je suis aussi sensible à l’argument selon lequel onze pays européens appliquent déjà une mesure de ce type. Il faut aller au-delà de ce constat. Puisque nous disposons d’exemples d’utilisation de tests ADN pour l’attribution de visas, il faut les analyser, et ne pas se contenter de dire que ça se fait.
La proposition faite par François Fillon pour calmer le jeu me semble raisonnable. On peut tester l’efficacité de la mesure, et ensuite décider de la mettre en place ou non. Ceci nécessitera un comité d’évaluation de confiance : compétent, objectif et impartial.
Cet amendement a été déposé par le député UMP Thierry Bariani, et constitue donc un ajout législatif (mais probablement avec l’assentiment de l’Elysée) au projet de loi présenté par l’exécutif. En l’occurrence, c’est le Ministre de l’Immigration, l’Intégration, l’Identité Nationale et le Co-développement, Brice Hortefeux, qui a la responsabilité de la défense du texte sur l’immigration.
Le but affiché de cette loi, c’est de rendre l’immigration de travail majoritaire par rapport à l’immigration de regroupement familial dans les visas accordés. Cet objectif me semble défendable, si on veut assurer une immigration gagnant-gagnant (du point de vue économique, social, démographique) pour le pays d’accueil et le migrant. Il ne faut pas oublier en chemin cette nécessité humaniste et inscrite dans les Droits de l’Homme de ne pas entraver outre que mesure le droit à chacun de vivre au milieu d’un entourage familial et affectif équilibré. On entend souvent que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne attirerait proportionnellement plus de migrants dynamiques économiquement que la France, qui elle favoriserait par son système social et ses lois d’immigration, la venue de smalas de migrants, avec un seul travailleur ou moins au sein de la famille. Si on cherche les différences, il y a forcément un peu de vrai là-dedans, même si il faut rappeler que les grandes familles de chômeurs polygames et non intégrés culturellement, qui excitent les populistes de bas-étage, ne constituent qu’une proportion réduite de l’immigration totale. Je ne connais pas cette proportion. Et, il faudrait justement se référer un peu plus aux chiffres plutôt qu’aux idées reçues au moment de parler de l’immigration. Quel est réellement le taux d’immigration comparé entre la France et le Royaume-Uni ? Quelle est la réelle part de l’immigration de travail et de l’immigration de regroupement familial dans ces deux pays ?
On se heurtera alors au problème des définitions de ces deux immigrations qui sont différentes d’un pays à l’autre. D’ailleurs, je suis sûr que si on prend un étranger, qui a des projets à la fois de travail et de fiançailles dans un pays donné (le cas n’est pas rare…on ne me fera pas croire qu’une majorité d’entre nous ne réfléchit pas à la fois à son avenir amoureux et professionnel dans une même semaine), il ne fera pas la demande du même visa selon les lois spécifiques du pays.
Donc, le problème est loin d’être simple, mais il mérite d’être pris à bras le corps, car on ne peut nier qu’il existe des dysfonctionnements, des souffrances et des aigreurs dans la façon dont est vécue l’immigration par les étrangers comme par les citoyens français.
Seulement, j’ai l’impression que le travail de fond, de réflexion n’est pas réalisé. Depuis cinq ans, on multiplie les lois immigration, pour peu de progrès.
Cette accumulation de lois, parfois sans décrets d’application, se retrouve d’ailleurs dans d’autres domaines. Il faut espérer que les efforts de simplification de la loi que viennent d’annoncer le groupe UMP (site Internet de suggestion citoyenne, deux-trois séances à l’Assemblée Nationale par an pour supprimer des lois obsolètes) soient bien entrepris et soient efficaces pour compenser l’inflation des lois.
La droite UMP a l’habitude de proposer des mesures dans le domaine de l’immigration. La part de communication est essentielle : il s’agit de capter les électeurs, abreuvés d’idées reçues sur l’autre, ou qui souffrent réellement de cas particuliers d’immigration mal vécue.
Un des objectifs de l’amendement de Thierry Mariani, tactique, tient certainement à ce rôle de communication. Et, la gauche a poussé des cries d’orfraie. Le résultat escompté est ainsi obtenu : on focalise les citoyens sur un problème secondaire, et on les amène à choisir leur camp : seulement il y a plus de Français qui inclinent vers le message sarkozyste que vers le message de l’ancienne gauche plurielle, la fameuse droitisation de la société étant en marche. Je ne serais pas surpris qu’on nous sorte bientôt un sondage comme quoi une majorité de François se prononcent en faveur de l’utilisation des tests ADN dans certain cas. Et, là, ce sera gagné pour les équipes de Nicolas Sarkozy. Les médias se sont à nouveau engouffrés dans cette histoire. Et, l’opposition s’est à nouveau trompée de combat. L’UMP a appliqué une vieille recette, et la gauche, en reprenant ses vieilles antiennes, pourra à nouveau être montrée du doigt à la majorité du peuple comme « angélique », « conservatrice » et « archaïque ». Car, dans une situation assez confuse, face à une communication habile, l’opposition n’a pas la possibilité de construire et d’annoncer des contre-propositions constructives.